Informations & discours des acteurs industriels, étatique, associatifs et scientifiques

Le journaliste François Mayle écrit : « Le mensonge est au cœur de l’atome depuis l’envoi, par Albert Einstein, en août 1939, de la célèbre lettre dans laquelle il informe le président Roosevelt que, grâce à l’uranium, il est désormais possible de « fabriquer des bombes extrêmement puissantes et d’un type nouveau. À partir de cette date, les dissimulations n’ont pas cessé, telle une réaction en chaîne. ». Tchernobyl et le nuage arrêté à la frontière, fuite du Tricastin, panne de Blayais… : les secrets d’États et les accidents passés sous silence ont amplifié considérablement le besoin d’information et de transparence, et cela à quelque point de la chaîne nucléaire : le secteur minier n’est pas en reste de controverses sur la transparence ou non des pratiques de l’industriel, il est même davantage que les secteurs de la production et du retraitement des déchets car il est moins médiatisé. Les « secrets » et la désinformation autour de l’extraction de l’uranium sont « moins » dénoncés et portés au grand jour que ceux relatifs aux centrales et usines.

Dans cette partie, nous verrons :

Les différentes sources d'information

Les sources d’informations sur la question de l’extraction de l’uranium et du nucléaire en général sont très variées (sources officielles, partenaires, indépendantes) et opposent parfois des résultats complètement contradictoires. La mise en regard des conclusions et informations fournies par les uns ou les autres sur le sujet des conséquences sanitaires de l’extraction de l’uranium font apparaître le caractère particulièrement « binaire » de la controverse, c’est-à-dire tranché, imperméable, souvent défini par un non-recevoir des arguments opposés.

Les sources d’information « officielles » sont principalement le Ministère de l’Écologie, de l’Énergie et du Développement durable, des organismes sous la tutelle de l’État, comme l’ASN, ou encore l’industriel Areva lui même. Les informations liées à la sûreté nucléaire et à la radioprotection étant les plus demandées, les rapports d’études des institutions d’expertise et de contrôle, plus ou moins « indépendantes » de l’État, comme l’IRSN, WISE-Paris, le GEP (dans le cadre de l’étude des anciens sites miniers du Limousin) sont commandés par l’État, des associations ou même l’industriel. À ce titre, les institutions « demandeuses » d’expertises savent aussi choisir l’organisme qui lui offrira les conclusions attendues… Dans un versant très associatif et « anti », la Criirad mène ses propres enquêtes ou réalise de nombreuses expertises en partenariat avec les ONG. Les associations locales sont également sources d’informations pointues et spécifiques à un terrain : il y a les Commissions locales d’information (CLI), qui fournissent des rapports de suivi scientifique relatifs à la sûreté et l’impact de l’activité observée mais aussi de petites associations qui apportent quant à elles des informations souvent complémentaires à l’analyse purement scientifique, à travers des données davantage sociologiques. Enfin, des ONG comme Greenpeace ou le Réseau Sortir du Nucléaire, mènent également leurs enquêtes et communiquent leurs résultats. Bénéficiant d’une bonne médiatisation, elles se font le relais de certains rapports comme ceux de la Criirad. Souvent, Greenpeace et le Réseau Sortir du Nucléaire mettent en perspective la question de l’extraction de l’uranium avec celle du nucléaire en général.

Cependant, on ne peut considérer les sources d’informations sans prendre en considération le partenariat établit entre l’organisme demandeur d’information et l’organisme « prestataire d’expertise ». Pour les détracteurs du nucléaires, les organismes scientifiques liés à l’État ou sous la tutelle d’un ministère ne fournissent pas d’informations objectives. À titre d’exemple, on peut citer l’opinion de Samuel Gontier, journaliste à Télérama, auteur de l’article "Pourquoi la question du nucléaire a-t-elle été occultée ? (numéro du 26 mars 2011), à propos des assemblées organisées par les Commissions locales d’information, qui pour lui font définitivement le jeu de l’État et de l’industriel car elles « sont surtout l’occasion d’aligner des heures de langues de bois ».

Le combat pour la transparence

À tous les stades de l’activité nucléaire, et de manière très prononcée dans le cas de la l’extraction de l’uranium, on constate un important reproche des associations vis-à-vis d’une pratique « de la dissimulation » des industriels et du fait que « les mensonges » soient soutenus par les politiques. Un reproche, on l’a vu plus haut, né d’une méfiance vis-à-vis de l’industriel justifiée par les lourds dossiers cachés dans le passé.

Pour parer à cette opacité, différentes lois ont été mises en places à échelle internationale ou nationale, parmi lesquelles la convention d’Aarhus (définition), un accord international signée en 1998 visant à « améliorer l'information délivrée par les autorités publiques, vis-à-vis des principales données environnementales ; favoriser la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l’environnement ; étendre les conditions d’accès à la justice en matière de législation environnementale et d’accès à l’information." En France la loi n°2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire a été votée afin de rendre l’information accessible au grand public, et cela à travers la création de l’ASN. Malheureusement, ces mesures n’ont pas satisfait les associations, bien au contraire. L’ASN est taxée de faire le jeu de l’industriel Areva et de l’État, et « l’absence d’information et de transparence de la part d’Areva » est au cœur des accusations faites envers l’industriel, même si ce dernier, dans le cas des mines nigériennes, a déclaré dans son dossier d’information de 2007 rendre publiques toutes les données économiques, sociales et environnementales relatives à l'impact de l'activité minière au Niger."

On peut ainsi citer, à titre d’exemple parmi de très nombreux autres, les reproches que Sherpa adresse à l’industriel Areva dans un rapport d’enquête de 2007 réalisé avec la Criirad, Médecins du Monde, Mounana et Aghir In’man, sur la situation des travailleurs de la COMUF au Gabon et de la Somaïr au Niger. Le rapport dénonce « une absence coupable d’information sur les risques » liés à l’exposition au radon alors que les industriels étaient « évidemment parfaitement informés de l’existence de ces risques, et ce dès l’ouverture des sites miniers ». Aucun travailleur d’Arlit ou de Mounana n’aurait été informé des risques inhérents à l’activité minière. Posant ensuite la question de l’évaluation de ces risques, possible grâce à réalisation de statistiques scientifiques sur lesquelles on peut se baser, Sherpa déplore que dans le cas du Niger et du Gabon « la confiance statistique joue au profit des responsables du risque, pas au profit de ceux qui le subissent », et qu’ainsi il s’agit d’« être particulièrement vigilant sur toute étude diligentée par la COGEMA non seulement dans sa définition mais aussi dans la désignation des experts chargés de la mener », de même qu’il faut que « les résultats d’une telle étude soient rendus publics ». Enfin, Sherpa dénonce « un maintien volontaire dans l’ignorance » de la part d’Areva, alliée dans cette optique aux autorités sanitaires et politiques locales. « Le coût non seulement des études épidémiologiques serait élevé et les résultats dérangeants, mais aussi l’impact économique et social pourrait être considérable dans l’hypothèse de l’établissement d’un lien de causalité entre l’exposition au rayonnement et les maladies développées ». C’est pourquoi « le maintien dans l’ignorance est la parade la plus sûre ». Et lorsque Sherpa adresse à Areva une demande de communication des rapports annuels de radioprotection, l’industriel répond « regarder la possibilité de transmettre [les] dossiers » mais « rappelle » que « d’une part ces rapports ne sont compréhensibles que par des experts et ne sont pas destinés à une diffusion publique; et d’autre part étant réalisés pour le compte de l’administration nigérienne nous devons au minimum les informer, voire leur demander une autorisation pour toute transmission ».

La communication d'Areva

Le discours institutionnel de la « propreté » nucléaire

La relance nucléaire que souhaitent les industriels français comme Areva et l’État lui-même, visant à développer massivement et à l’international l’utilisation de l’énergie nucléaire, est, on vient de le voir, une affaire capitalistique et politique considérable. Aussi, face aux arguments puissants allant à l’encontre de l’utilisation du nucléaire (problèmes soulevés par la gestion des déchets notamment), il est indispensable pour les acteurs de la nucléarisation de « faire de la pédagogie » auprès des publics pour légitimer le développement de leur activité. En outre, il leur faut convaincre de nouveaux industriels, parfois frileux à se lancer dans un secteur qui porte en lui tant de controverses, à se lancer dans l’aventure du nucléaire civil - donc largement investi par l’État - en France comme à l’étranger. Les acteurs de la nucléarisation ont donc établi et adopté un même discours, fondé sur l’idée que le nucléaire est une énergie propre.
NB:On peut d’ailleurs prendre le mot « propre » dans ses deux significations, qui toutes deux constituent les deux arguments majeurs mis en avant dans le discours pro-nucléaire : « propre » comme « non polluant » et « propre » comme « une énergie à soi », renvoyant à la volonté étatique d’une indépendance énergétique.

Le discours a toujours posé comme indispensable le développement à grande échelle de l’utilisation du nucléaire civil pour parer à l’épuisement des énergies fossiles et permettre aux pays d’acquérir une indépendance énergétique. C’est pourquoi, jusqu’en 1986 avec l’incident de Tchernobyl, les centrales se sont multipliées. La controverse était ensuite très vive, et c’est l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto, en 2005, et de ses clauses imposant la réduction des gaz à effet de serre, qui ont fourni aux acteurs du nucléaire sa meilleure opportunité de légitimation : l’activité nucléaire n’émettant que très peu d’émissions de CO2, elle est devenue propre. Cet argument pèse désormais très fortement dans les débats concernant le principe de précaution et de l’équilibre « risques-progrès ». Le discours donc minimise les risques et rappelle les évolutions considérables en termes de sécurité et de non-prolifération. Le principe de précaution est relativisé dans le sens où la priorité n°1 incombe désormais à l’action contre le réchauffement climatique : à ce titre, le nucléaire civil est présenté comme seule énergie à la fois propre et performante, quand les productions énergétiques renouvelables comme le solaire ou l’éolien sont jugées insuffisantes. Selon Pierre Beroux, directeur du contrôle des risques à EDF, « il serait totalement illusoire de nier [les risques spécifiques au nucléaire] mais il est essentiel de les mettre en perspective de ses avantages incontestables et des mesures de protection. » Le discours globalise les enjeux : le nucléaire doit contribuer à un avenir économique « plus fort, plus sain et plus juste » ; à l’échelle mondiale, il permettra aux pays riches comme pauvres de se partager l’accès aux ressources. Dans les discours pro-nucléarisation, cette énergie est présentée comme responsable : c’est un modèle et une fierté française. D’ailleurs, la catastrophe de Fukushima n’a pas fait dévier la ligne politique : pour Nicolas Sarkozy, « pas question de discuter de la pertinence du nucléaire », François Fillon poursuivant « Il serait absurde de considérer que cet accident condamne le nucléaire ».

Il faut lier l’État à la communication d’Areva car il prend parti en faveur de l’utilisation de cette énergie et souhaite relayer son discours au sein de portails Internet animés par le ministère de l’Énergie comme celui du CEA, mettant à disposition des informations simples et multiples, ainsi qu’à travers, entre autres, un vaste programme national d’éducation à l’Énergie, dès les classes élémentaires…

De nombreuses associations et ONG dénoncent vivement le discours des industriels et de l’État qui, selon elles, avancent d’une part des arguments surestimés voire mensongers (principalement celui stipulant que le nucléaire civil fera baisser en profondeur le taux d’émission de CO2) et d’autre part éludent ou minimisent tous les risques liés au nucléaire. Le discours serait manipulateur et non objectif, élaboré afin de développer un projet d’envergure mondiale extrêmement lucratif.

Opérations de communication

Areva débourse plusieurs milliers d’euros dans sa communication, sur laquelle l’industriel communique également puisqu’il la place au « cœur de ses priorités » d’entreprise à responsabilité sociale et industrielle. (source) Il reconnaît que « ses activités peuvent susciter des interrogations » et c’est pourquoi Areva souhaite y répondre à travers « l’information de tout citoyen dans la plus grande transparence ». Pour cela, la communication se veut avant tout pédagogique. Et le géant nucléaire ne manque pas de moyens pour parvenir à ses fins : spots publicitaires grand public sur l’épopée énergétique plaçant le nucléaire comme l’énergie du futur, sponsors de sports « nature » comme la voile… des opérations que les associatifs qualifient de greenwashing, à l’instar de Stéphane Lhomme : « C’est clair qu’[Areva a] bien compris qu’ils ne pouvaient plus faire comme il y a trente ans où ils décidaient de construire une centrale nucléaire et où l’État envoyait des gendarmes et ses policiers pour taper sur la tête des gens en leur disant « Dégagez, c’est comme ça et taisez-vous. C’est clair que ce n’est plus possible de nos jours et il y a une véritable demande de respect de l’environnement dans l’opinion publique. Donc on se retrouve avec beaucoup de communication « verte » pour faire passer pour écologiques des activités qui sont polluantes en réalité » ; le journaliste de Télérama Samuel Gontier estime que par « ces moyens très modernes » de communication, Areva réussit à « étouffer le débat et travailler à l’acceptation politique du nucléaire ».

Mais au-delà de ses opérations publicitaires, les documents fournis par Areva, accessibles sur le site Internet du groupe (un site très bien fait, attractif), sont toujours des documents de « communication ». Il n’y a pas de rapports, il n’y a que des communiqués. On y trouve aussi des « plaquettes » très bien faites. Celle concernant l’activité « Mines » présente des photos de magnifiques paysages, des enfants de la population locale en bonne santé, la terminologie utilisée vise à mettre en avant l’apport d’Areva dans les pays où elle extrait l’uranium (« développer », « valoriser », « s’intégrer », « respecter »…) : un discours aux antipodes des accusations que les associations adressent à l’industriel !

Par ailleurs, les initiatives d’Areva sont très critiquées. « C’est 100% de la communication », affirme Stéphane Lhomme, pour qui l’industriel prend des initiatives dans le simple but de se dédouaner. Exemple d’initiative-« communication » : les Observatoires de la Santé créés au Gabon. La Criirad a voulu démontrer dans un rapport que le protocole mis en place était trompeur. Les débats qu’Areva organise lui-même sur son site, à l’instar de celui avec Sébastien de Montessus, directeur du business group « Mines » répondant aux questions des internautes-chatteurs, était un bel exemple de communication, laissant la possibilité à Montessus de reprendre point par point le discours d’Areva, qui prend toujours pour postulat le fait que le nucléaire soit l’énergie incontournable et la seule véritable option. Les explications concernant les doses radioactives sont brèves et vulgarisées car elles sont difficiles à comprendre selon le responsable d’Areva. Pour Stéphane Lhomme, Areva, par ces débats, « fait mine d’écouter la population » mais ce n’est qu’un « biais pour mieux faire accepter [le nucléaire] ».

C’est Florent Vial, Directeur-adjoint de la communication des activités minières d’Areva, qui a reçu notre équipe en interview. Dans son discours, il a rappelé l’engagement du groupe contre l’émission de CO2, insisté sur l’initiative qu’ont constitué les Observatoires de Santé : « une première mondiale dans les industries extractives » et sur la volonté « d’instaurer un dialogue entre tous les acteurs » et « d’apporter le plus de transparence sur notre politique ». Florent Vial a condamné les reproches qu’on adressait à Areva vis-à-vis d’une quelconque opacité. Il a mis en avant le fait qu’Areva avait accueilli sur les sites miniers les ONG, une ouverture qui s’est soldée, témoigne-t-il, en 2010, par « la sortie d’un dossier à charge assez classique » de la part de Greenpeace. Florent Vial, à maintes reprises, a prononcé les mots « transparence » et « responsabilité ». Mais il s’est défendu de toute communication : « on s’inscrit dans une démarche de progrès continu, et ça c’est encore une fois une réalité et je me base, ce ne sont pas de beaux discours ». Par contre, il a éludé les questions plus techniques sur le lien de causalité entre l’exposition aux radiations et les pathologies : « je suis désolé car sur toutes ces questions-là il faudrait des spécialistes ».