Relations internationales

Dans cette partie, il s’agit d’explorer et d’analyser les controverses concernant les relations nouées entre l’État français et les pays africains – notamment le Niger, qui servira d’exemple - où l’uranium est extrait, ainsi que ce qu’implique l’implantation d’une activité industrielle « occidentale » dans un pays aux mœurs et à l’économie « traditionnelles » : domination, sources de tensions, rapports conflictuels entre Areva et les associations, le gouvernement nigérien et une partie du peuple… L’extraction de l’uranium soulève d’autres problématiques que celle purement sanitaire, problématiques qui sont cependant indissociables de la question de l’impact environnemental et humain : c’est parce que les rapports sont déséquilibrés que le dialogue et la résolution de la controverse sanitaires sont très difficiles.

Cette page s'organise en deux parties :

Relations économiques, géostratégie et éthique politique : l’exemple du Niger

« Le pouvoir économique reste aux mains de multinationales étrangères qui, en échange d'un soutien au régime autoritaire en place, pillent le pays de ses richesses », c’est ainsi que le Réseau Sortir du Nucléaire dénonçait, en 2008, la politique des industriels de l’uranium au Niger.

En l’occurrence, l’exemple des sites d’Arlit et d’Akokhan, au Niger, révèle à lui seul toutes les problématiques et les controverses liées à la relation établie entre l’industriel – et par là le pouvoir français – et les peuples et les gouvernements des pays où l’uranium est exploité. Des ONG comme Greenpeace ou le Réseau Sortir du Nucléaire, le collectif Areva ne fera pas la loi au Niger, des associations locales comme Aghir’in man ou le collectif Tchinaghen, les experts de la Criirad et bien d’autres voix, souvent journalistiques, dénoncent fortement non seulement les conditions dans lesquelles est mise en place l’activité minière, mais aussi son expansion, qui transforme la géographie et l’activité traditionnelle du pays, les rapports conclus avec les gouvernements sans consulter le peuple nigérien. Des relations « entre les dictatures africaines et les puissances occidentales » qualifiées d’« incestueuses » par le consultant ivoirien Macaire Dagry, auteur d’une tribune en mars 2011 sur le site Afrik.com, et qui « permettent toujours une exploitation des ressources de ces pays sans aucun contrôle ».

Des opinions graves et accusatrices dont Areva se défend. Dans sa plaquette, document de communication, visant à exposer l’activité et les enjeux de son business group « Mines », consultable ici, Areva explique « préparer la vie de la mine dans le respect des hommes et des territoires » : les équipes de l’industriel « évaluent l’impact sociétal du projet minier » et Areva « propose alors une organisation qui préserve et développe le contexte environnemental et socio-économique : mise en place de programmes qui apportent aux populations des solutions durables de croissance, anticipation de la fin de vie de la mine et du réaménagement du site. »

Arlit et Akokan : villes artificielles, créées pour l’extraction de l’uranium

L’industriel français Areva exploite l’uranium nigérien depuis plus de 40 années à Arlit à travers deux filiales : la SOMAÏR (Société des Mines de l’Aïr, créée en 1968) qui exploite l’uranium par carrières à ciel ouvert, et la COMINAK (Compagnie Minière d’Akouta, créée en 1974) qui exploite l’uranium par travaux souterrains. Afin d’accueillir les travailleurs des mines et leurs familles, la cité d’Arlit et sa petite sœur Akokan (qui comptent ensemble environ 70 000 habitants) ont été créées ex-nihilo en plein désert, dans une zone inhospitalière - mais non loin de la vaste réserve naturelle de l’Aïr-Ténéré, aire protégée dans laquelle vivent plusieurs milliers de Touaregs. L’activité minière nigérienne est un eldorado qui attire alors des populations venues de toute l’Afrique de l’Ouest, pensant pouvoir y faire fortune. Arlit sera ainsi surnommé « deuxième Paris », en référence aux espoirs que cette ville suscite auprès des populations.

L’impact écologique et humain de l’implantation des mines

Selon de nombreux rapports publiés par la Criirad, comme celui-ci ou par des associations agissant localement, la sortie de terre des sites miniers et des villes d’Arlit et d’Akokan a eu un impact considérable non seulement géographique, mais également écologique, humain et social. Ainsi, les besoins en bois de leurs habitants détruiraient les ressources forestières de la réserve naturelle voisine de l’Aïr-Ténéré. Areva se défend de tout dommage environnemental. Le groupe affirme, dans son dossier récapitulatif de ses activités au Niger, que ses filiales SOMAÏR et COMINAK « les seules entreprises certifiées pour l’environnement au Niger » car elles « se sont dotées de systèmes de management environnemental conformes à la norme internationale ISO 14001 ». La certification de SOMAÏR a été renouvelée fin 2005. Par ailleurs, la société Areva rappelle qu’elle « réalise ou fait réaliser » régulièrement des audits de suivi dans les différents domaines de « la sécurité, la santé, l'environnement et les transports ». Elle s’adresse pour cela à l’IRSN ou au CNRP par exemple.

Par ailleurs, selon le collectif Tchinaghen, dans son dossier d’information, l’exploitation du gisement d’uranium s’est fait « souvent au détriment des populations autochtones, c'est-à-dire, dans le Nord-Niger, de populations d’éleveurs de bovins, camelins, ovins… qui représentent la deuxième économie du pays ». Un point de vue sur lequel s’accordent beaucoup d’associations et d’ONG. Yves Marignac (interview ici), de Wise Paris, explique qu’il faut prendre en compte, dans les projets d’extraction de l’uranium, la dimension « sensible » de la zone choisie pour l’implantation : « dans chaque cas, il y a une composante « population indigène » (…) il y a des choses avec les populations, avec des impacts sur les réserves (…) L’aspect négatif recouvre les conséquences socio-économiques sur l’activité traditionnelle ». Selon le collectif Tchinaghen, en 2008, l’uranium au Niger ne représente que 1,8% du PIB du pays : soit une productivité six fois moindre que celle de l’élevage : « malgré cela », l’État du Niger veut devenir « le premier fournisseur mondial d’uranium » et « distribue des concessions à vau-l’eau au détriment des populations locales actuelles et surtout à venir ». Pour l’hydrogéologue Alain Joseph, spécialiste de la région d’Agadez au Niger « l’économie pastorale est en train de disparaître dans le Nord du Niger, région où s’installent les miniers du monde entier. On va vers une catastrophe environnementale et économique ». L’élevage extensif dans l’immense plaine de l’Irhazer est fortement remis en cause par l’assèchement des nappes phréatiques d’Agadez, seule ressource en eau de la région. La cause de leur épuisement ? L’octroi de concessions minières. L’eau des nappes est acheminée vers des mines de charbon qui alimente en électricité les installations d’Areva à Arlit. A Akokan et Arlit, les sociétés Cominak et Somaïr, dont Areva est l’opérateur, ont déjà épuisé à 70% l’aquifère carbonifère au nord du Tarat, à raison de 22 000 m3/j depuis 38 ans. Ces deux sociétés envisagent d’utiliser un pipeline de 30 km et de déplacer leurs pompages vers l’ouest, dans la nappe des grès d’Agadez.Les populations Touareg sont victimes d’une large distribution de permis de recherches accordés par le gouvernement nigérien aux entreprises étrangères, parmi lesquelles la Chine, dont le mode opératoire est très contesté : installation au « mépris » des populations selon le collectif Areva ne fera pas la loi au Niger. Les tribus quittent les lieux et de nombreuses d’entre elles se sont déjà réfugiées dans les bidonvilles des villes minières. Selon la Criirad et les associations locales, les habitants de ces bidonvilles vivent des déchets d’Arlit, l’eau « distribuée par les compagnies minières n’est pas potable » et l’état épidémiologique est « déplorable ». Pour le CRILAN (Comité d’information, de réflexion et de lutte anti nucléaire), « les fausses couches, les cas de céphalées, de conjonctivites, d’allergies respiratoires, de maladies dermatologiques, de malformations congénitales constituent le lot quotidien des prises en charge sanitaires au niveau des deux hôpitaux de la ville. »(dossier en ligne sur le site du CRILAN)

Face à ces attaques, Areva veut faire entendre, dans ses communiqués, son « engagement sociétal fort » qui se traduit par « une ambitieuse politique » contribuant « à l’amélioration des conditions de vie des populations ». Ainsi, l’industriel français rappelle que c’est lui qui a construit les deux hôpitaux dans les années 1970 et que la population des villes d’Arlit et d’Akokan y bénéficie de soins gratuits.

Qui travaille dans les mines ?

En Afrique, selon le collectif Tchinaghen, la quasi-totalité des exploitants miniers sont d’origine occidentale. De nombreux opposants au nucléaire avancent ce même argument, arguant que les postes les plus dangereux sont réservés aux travailleurs nigériens alors que les cadres supérieurs sont des expatriés français. Areva se porte en faux face à ces accusations et affirme donner « priorité à l’emploi local ». Ainsi « les 1 600 employés des deux mines font vivre directement et indirectement 70 000 personnes » et « 99 % des 1 600 postes sont occupés par des Nigériens ». Enfin, la dizaine de cadres expatriés présents « permet d'assurer un transfert de connaissances et de savoir-faire ».

Tensions

Les ONG et associations locales qui accusent l’industriel d’agir sans impunité dénoncent aussi une discrimination voire une ségrégation de la population des villes d’Arlit et d’Akokan qui s’est mise en place avec l’arrivée des expatriés et l’accord du pouvoir politique. Pour le CRILAN, « il y a trois catégories de bases de vie. Celles des expatriés, qui sont les plus chics avec des jardins et des piscines. Celles des cadres nigériens, des espaces très réduits sans verdure, et à peine dotées d’électricité, d’eau et de gaz. Les autres résidences sont repoussantes et ne disposent ni d’énergie ni d’eau, et encore moins de réseaux d’assainissement. Ce sont comme des ghettos, de vraies plaies pour Arlit. » « L’héritage empoisonné » légué par Areva, pour reprendre les termes du journaliste Dominique Hennequin (interview ici), est lourd et a fini par « accentuer le sentiment de rejet à son égard, mais également à l’égard du pouvoir central, accusé de laxisme ». Pour le CRILAN, la « discrimination n’a fait que susciter le sentiment de haine envers les expatriés ». Le témoignage d’un enseignant à Arlit, dont le père, un ancien mineur, est décédé à la suite d’un cancer, va dans ce sens : « il n’est pas étonnant que des jeunes puissent en contrepartie d’argent aider les terroristes à faire la chasse aux étrangers ».

Une insécurité grandissante qui a atteint son paroxysme avec l’enlèvement des cinq français expatriés et salariés des sociétés minières Areva et Vinci par le groupe AQMI en septembre 2010. On ne sait pas encore si cet enlèvement était motivé par l’extrémisme religieux, des intérêts financiers, des griefs liés à l’exploitation minière ou par une combinaison de ces raisons. Malgré cela, les activités d’Areva ont poursuivi sous l’assurance du gouvernement nigérien que les attentats terroristes n’affecteraient pas les activités minières. Désormais, la circulation dans les zones à risque que représente, entre autres, celles des sites miniers, est devenue difficile – très déconseillée voire interdite.

Rébellion armée de 2007 : Areva a-t-elle profité de l’instabilité politique du pays ?

Début 2007, le MNJ (Mouvement des Nigériens pour la Justice), à majorité Touareg mais se revendiquant comme pluriethnique et à dimension nationale, réclame du président Mamadou Tandja (en poste jusqu’en 2010) « non seulement une application réelle et entière des accords de paix signés en 1995, mais aussi et surtout une redistribution plus égalitaire des revenus générés par l'exploitation de leur sous-sol. » Face aux refus du Président de négocier, le MNJ oppose une forte résistance de plusieurs années, violemment réprimée par l’État, qui donne tous les pouvoirs à l’armée. En mai 2008, alors que l’état d’exception est toujours décrété sur la région d’Agadez suite à la rébellion, Areva fait valider l’étude d’impact environnemental de son nouveau projet minier d’Imouraren, dont la mise en production est prévue pour 2013. Selon le collectif Areva ne fera pas la loi au Niger, Areva « a profité » de l’état d’urgence au nord du Niger et des conflits en cours pour faire passer son projet auprès du pouvoir central nigérien sans qu’il n’y ait de concertation avec d’autres parties prenantes, comme déclaré ici. Pour le collectif, « des manœuvres sournoises ont été opérées pour limiter la participation de certaines structures dans la tenue et la conduite des audiences », de même qu’ « il n’y a eu aucune contre-expertise scientifique indépendante permettant aux participants d'opérer un choix ». Peu d’informations sur cette affaire sont à trouver du côté de l’industriel ; Areva explique simplement sur son site que le projet d’Imouraren a été validé « après plusieurs mois de concertation ».

L’État nigérien ignorant de son peuple

Publié en 2008, le dossier d’information du collectif Tchinaghen nous apprend qu’en moins d’un an, 139 permis de recherche d'uranium ont été donnés par le pouvoir central nigérien à des entreprises européennes, asiatiques, nord-américaines et australiennes. Pour Tchinaghen, ces autorisations ont été attribuées « dans la plus grande opacité [et] au mépris des populations locales », dépossédées de leurs terres, « de leurs pâturages et de leurs puits, c'est à dire tout simplement de leurs moyens d'existence, de subsistance ».

La cartographie du web par pays représentés visible icirévèle elle-aussi l’absence de prise de position du gouvernement nigérien sur la question de l’activité minière. Les seuls sites y faisant allusion sont les sites où s’expriment les associations locales (associations touarègues et de soutien aux travailleurs et à la population) ou les ONGs.

Selon Guy Labertit, auteur de l’article « À qui profite l’uranium nigérien » publié dans Le Monde en août 2007, maintes fois repris par les ONGs, la conduite du gouvernement nigérien « alimente à peine la mauvaise conscience des instances internationales ». L'article est consultable ici.

Areva et les associations

Areva maintient bien plus de liens avec les associations que le gouvernement nigérien lui-même. L’industriel rappelle ainsi dans ses communiqués les partenariats de sa filiale SOMAÏR avec avec l'ONG Aghir In'Man engagée pour la préservation de l’environnement, ou encore sa « démarche novatrice » concernant la création d’Observatoires de la Santé autour de ses sites miniers du Gabon (observatoire lancé en 2009) et du Niger : une « initiative saluée par les associations Médecins du Monde et Sherpa, qui se sont associées à Areva dans cette démarche ».

L’après Tandja : « la manne de l’uranium restera la manne de l’uranium »

En 2007, la politique autoritaire de Mamadou Tandja, alors Président du Niger est de plus en plus contestée : les premières rébellions éclatent, le pays se retrouve dans une grande instabilité. En 2009, Mamadou Tandja, considéré comme le « père de l’uranium nigérien » car c’est sous son régime que les projets d’extraction se sont développés, réussit, par voie de référendum - décrété illégal par la Cour constitutionnelle et contesté dans tout le pays – à changer la constitution nigérienne afin de bénéficier d'une extension exceptionnelle de son mandat de trois ans pour « achever les chantiers entrepris ». Cette même année, Nicolas Sarkozy rencontre le Président Tandja. Si Nicolas Sarkozy condamnera plus tard la tentative d’usurpation de pouvoir que constituait le référendum, il déclare lors de sa visite qu’« avec Tandja le Niger a connu dix ans de stabilité » (source). Pour Dominique Hennequin,/a> (interview ici) ces propos sont une manière de dire que « [la France] a besoin de son uranium ». À l’instar de la tribune « Sarkozy-Tandja, rencontre sur un tas de cadavre », très relayée sur Internet, de nombreuses voix se font entendre du côté des associations, criant au scandale et dénonçant une relation nauséabonde entre la France et un régime dictatorial, bafouant les droits de l’homme.

En 2010, le régime de Tandja est renversé par un coup d’état militaire. En mars 2011 se déroulent des élections libres au Niger, et Mahamadou Issoufou, l'opposant historique du régime de Tandja, est élu avec 57,95 % des suffrages. Le nouveau Président a déclaré que le Niger, riche en uranium, « n'est pas un pays pauvre mais un pays mal géré ».(source). Cependant, pour les associations, il est peu probable que l’arrivée au pouvoir de cet homme apprécié du peuple nigérien change beaucoup de choses au niveau des conditions de l’extraction. Dominique Hennequin (interview ici) « ne [se] fait pas d’illusions », pour lui « la manne de l’uranium restera la manne de l’uranium » et « les concessions qui ont été vendues, c'est-à-dire 90 000 km2, vont rester ». Affaire à suivre.

En guise de conclusion…

Les associations les plus vindicatives, comme les collectifs Areva ne fera pas la loi au Niger et Tchinaghen, Greenpeace, le Réseau Sortir du nucléaire, l’Observatoire du nucléaire ou la Criirad n’hésitent pas à employer le terme de « néocolonialisme » pour définir les relations entre l’État français et les pays où il extrait son uranium par l’intermédiaire d’Areva.L’hydrogéologue Alain Joseph quant à lui dénonce un « comportement prédateur minier : on s’installe, on prend le maximum et après moi, le désert ! »

Dans un communiqué publié en mars 2011, Stéphane Lhomme, président de l'Observatoire du nucléaire, fustige la politique nucléaire du gouvernement français au Kazakhstan pour le « soutien » qu’elle apporte au régime en place. Il écrit : « L'option de l'énergie nucléaire est indéfendable sur le plan géostratégique et sur le plan de la morale politique, et ce à la lumière même des évènements actuels au Moyen-Orient (…) Il serait temps de prendre acte (...) que, au-delà même des questions de risque nucléaire et de déchets radioactifs, l'énergie atomique ne se justifie pas chez nous, à moins de s'accommoder de politiques néocoloniales ou de collaborations avec des dictateurs ». Sans aller jusqu’à ce terme de « néocolonialisme », on le voit se dessiner et Stéphane Lhomme emploie explicitement ce mot dans l'interview que nous avons réalisé, disponible ici

Quoi qu’il en soit, au regard des éléments réunis à travers cet exemple nigérien, on voit qu’on a à faire à une controverse très « binaire » : face aux attaques des associations, Areva se positionne toujours en faux. Peu de concessions sont faites de part et d’autre pour donner raison à l’opposant. Sur beaucoup de points (impact environnemental et sanitaire notamment), Areva communique en soulignant ses initiatives. On remarque à ce titre la grande différence entre les supports d’information de chacune des parties prenantes : Areva mise beaucoup sur la communication, quand les associations choisissent le camp de l’expertise (Criirad) ou de la victimisation.

On voit donc s’engager un rapport de force entre l’industriel, soutenu par les États français et nigérien, et les associations de soutien à la population. Un déséquilibre se dessine manifestement entre la puissance de l’industriel et le pouvoir de réaction et d’inflexion des associations, même si la rébellion a sonné le glas du régime de Tandja, qui pendant dix années a favorisé la course à l’uranium dans ce pays sensible.

Quel bénéfice économique les pays « exploités » tirent-ils de l’extraction de l’uranium ?

La production d’uranium enrichit-elle les pays africains ?

Si sur son site Internet et dans ses publications ( ), Areva fait l’éloge d’une activité rentable permettant à la France d’assurer sa sécurité énergétique, l’industriel n’en oublie pas pour autant les pays où l’uranium est extrait par ses filiales. Ainsi, Areva dit avoir mis en place un « partenariat gagnant-gagnant : Areva achète l’uranium extrait sur place à des sociétés (ses propres filiales, ndlr) dont l’État nigérien est actionnaire et dont il perçoit les dividendes. Une partie de cet uranium revient également aux autorités nigériennes qui le vendent sur le marché international ». Par ailleurs, l’industriel français insiste sur le fait qu’il a créé des emplois et que « dans les années 1980 et 1990, alors que le prix de l’uranium était au plus bas et que les sociétés étrangères quittaient le pays, le groupe a poursuivi l’exploitation des gisements nigériens et maintenu dans leur emploi ses 2 000 collaborateurs ».

Certains experts associatifs tels que Wise et Somo ne reconnaissent pas ces faits. Dans la conclusion d’un rapport intitulé Revenus Radioactifs : Flux financiers entre les Entreprises de l’extraction de l’uranium et les gouvernements Africains, publié en mars 2011, ils affirment que pour les pays africains « l’extraction de l’uranium reste une source incertaine de revenus étant donné l’instabilité de son prix» ; en effet, selon ce rapport, les principales sources de revenus liées à l’extraction auxquels prétendent les pays africains seraient « les impôts sur les bénéfices des sociétés et les redevances ». Ainsi « la nature des accords, sur les profits financiers, que [les pays africains] passent avec les producteurs d’uranium » serait à l’origine de la situation défavorable dans laquelle se trouvent, en autres, le Niger ou le Gabon. Les contrats passés sont « souvent le résultat de négociations confidentielles », un manque de transparence que déplorent Wise et Somo. Pour Joseph Wilde Ramsing, chercheur à Somo, les pays africains, « étant donné la nature incertaine et fluctuante des revenus et les risques importants que l’extraction de l’uranium génère pour la santé, la sécurité et l’environnement », devraient changer de cap et investir dans d’autres énergies, notamment renouvelables. Un point de vue partagé par la plupart des ONG et associations engagées contre les conditions de l’activité minière d’extraction de l’uranium.

Quelle sécurité énergétique pour le pays où l’uranium est extrait ?

Un rapport de l’Institut des hautes études internationales et du développement publié en février 2011, disponbile ici, intitulé "La sécurité énergétique et l’Afrique subsaharienne" traite de cette question. On y apprend que l’activité déployée par les pays importateurs d’énergie dans le but d’améliorer leur sécurité énergétique à travers l’exploitation de l’uranium d’Afrique « affectent et compromettent la sécurité énergétique à l’intérieur de l’Afrique ». Si selon ce rapport les projets de développement basés sur les communautés locales ont amélioré le bien-être de nombreux ménages, ils ne suffisent pas à garantir la sécurité énergétique. En effet, de nombreux États africains manquent des moyens financiers nécessaires pour construire les réacteurs assurant la combustion de l’uranium. Ainsi, l’expansion de l’utilisation de l’énergie nucléaire en Afrique subsaharienne restera limitée dans le proche avenir. Selon ce document, les deux impératifs qui visent à accroître la sécurité énergétique à travers l’Afrique et à améliorer la sécurité énergétique à l’intérieur de l’Afrique « sont en concurrence directe ». Ainsi, si les États africains seront davantage en mesure de négocier avec la croissance de la demande mondiale, « la capacité des Africains de s’offrir leur propre uranium restera limitée » tant que les gains financiers ne seront pas redistribués à la population dans son ensemble.

À chaque fois, on l’a vu ici, les rapports entre le pays importateur et les pays africains sont des rapports déséquilibrés. Des déséquilibres à l’origine de la difficulté des populations et associations à faire reconnaître juridiquement les problèmes sanitaires qu’elles dénoncent. Aussi, l’argument « géostratégique » est fondamental et il est utilisé par ceux qui accusent Areva et l’extraction de l’uranium d’être à l’origine de graves conséquences sanitaires pour soutenir leur propos et élargir la controverse en pointant du doigt les autres polémiques liées à l’activité minière uranifère.